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Le Labo d'Emmessem et Ben' D.

Copland, fin d'un monde de corruption par James Mangold

A l'occasion de la rétrospective "Good Cop Bad Cop" de l'Arras Film Festival a pu être redécouvert sur grand écran Copland de James Mangold (Logan, 3h10 pour Yuma), drame policier d'une abyssale mélancolie.

Copland, fin d'un monde de corruption par James Mangold

Revoir Copland sur grand écran, c'est plonger tout entier dans un univers en phase terminale. D'abord végétatif, le monde de flic du film, soit la petite ville de Garrison, se voit troublé par un accident de tir policier. L'événement est conséquent, parce qu'il est lié à l'un des leurs. Eux, ce sont les flics. Pas n'importe lesquels. Ils forment une "famille", plutôt une cohalition. Ensemble, ils sont plus forts. Contre qui ? Contre les inspecteurs des enquêtes internes. Contre quoi ? Contre les recherches de ces derniers, mais aussi contre toute attaque sur leur buisiness lié à la mafia new-yorkaise, et bien sûr, contre eux-même. Justement, c'est un jeune flic de leur groupe qui a merdé. Il est aussi le fils de la belle-soeur du meneur de la bande dirigée d'une main de fer par un Harvey Keitel impérial, secondé par Robert Patrick, véritable sâle con raciste (oui, c'est un pléonasme), et Arthur J. Nascarella, dont la sympathie est équivalente au malheur qu'il peut vous apporter. Plus bas dans leur hiérarchie secrète, on trouve un enquêteur malîn mais accro à la cocaïne. Interprété par le formidable Ray Liotta, le bonhomme n'apprécie plus les manigences concoctés par le chef. Mais attention, car il y a cet autre soldat, un flic de choc qui aime se taper la nana du patron, tant pis pour la sienne. La belle et triste Liz, jouée par la lumineuse Annabella Sciorra, n'a pas le mari qu'elle mérite. D'ailleurs, ses désirs se portent loin de cette ville et aussi tout près, sur le shérif. Freddy Heflin, qui, jeune homme, a sauvé la dame des eaux suite à un accident de voiture. En la sauvant, Freddy a perdu l'ouïe à l'une de ses oreilles. Jugé physiquement inapte au poste de policier, Heflin a attéri dans le rôle du shérif de la ville de flics de Garrison. Pour donner corps à ce héros déchu et bedonnant, Sylvester Stallone s'est physiquement investi. Surpoids, tenue débraillée, panache en attente et naïveté caracterisent le romantique tragique. Célibataire, n'ayant jamais osé approcher celle qu'il aime depuis toujours, le personnage n'a toutefois pas perdu ses rêves de police et d’héroïsme de cowboy à la Cary Cooper. Justement, le western et ses légendes ne sont pas loin, il est en de même de la mythologie grecque comme le note le critique Guillaume Méral. Le film, après un énième visionnage, cette fois-ci au cinéma, paraît éternel, et même de plus en plus puissant. Mangold a filmé, comme avec Logan ou 3h10 pour Yuma (remake d'un classique et nouvelle adaptation de l'auteur Elmore Leonard, à qui l'on doit des romans western aux récits devenus essentiels pour la légende de l'Ouest américain comme pour la fabrique à cinéma qu'est Hollywood) ou encore Walk The Line, un récit de l'éternel, soit un nouveau chapitre de nos mythologies modernes, marqué par celle du passé.

Sylvester Stallone / Freddy Heflin

Sylvester Stallone / Freddy Heflin

Qu'il s'agisse de la grèce antique, de Percival ou de la ville de Garrison, New-Jersey, l'histoire est la même : le monde corrompu court à sa perte, et un gardien va se révéler et restaurer l'ordre. Le caractère mythologique du film est aussi esthétique. Le cast est à ce propos lourd de sens. Le choix de Stallone dans le rôle du shérif permet à Mangold d'utiliser la persona de l'acteur : de Rambo, soldat du vietnam traumatisé qui deviendra un action hero avec le troisième volet ou encore Rocky, personnification du rêve américain. Bien avant que Stallone revisite ses rôles pour les faire revivre à échelle humaine, James Mangold fait du grand Sylvester un titan blessé. L'amérique bigger than life n'a pas sa place dans l'écran du réalisateur. Nous sommes dans la rue, à New-York, où le danger peut porter une plaque de police, et dans une banlieue normalement tranquille dirigée par des gardiens de la paix corrompus jusqu'à la moelle. Stallone/Heflin subit les outrages du temps qui passe et des occasions perdues, figure de paille qui ne fonctionne que par automatisme dans un univers qu'il observe passivement. Mais une vie manquée n'est pas nécessairement ratée. Déjà, Heflin ne regrette pas d'avoir sauvé Liz plus jeune : "c'est la meilleure chose de ma vie". Surtout, un inspecteur des affaires internes de New-York interprété par un Robert De Niro tout en justesse est prêt à faire tomber la bande. Robert De Niro versus Harvey Keitel, en voilà un combat marqué par l’histoire du cinéma américain. Le passé commun des deux bonhommes permet à l’affrontement de devenir lui aussi mythologique. Des deux grands bonhommes du cinéma scorsesien et plus largement des années 70 et 80, qui s’en sortira ? C’est aux plus jeunes d’en décider. Aux jeunots de prendre les armes pour mettre fin aux armes. Ainsi Robert Patrick, le T-1000, s’est rangé du côté des salops ; Ray Liotta, l’un des affranchis du film éponyme de Scorsese, navigue dans le brouillard entre les deux camps avant de soutenir Stallone, carcasse de super-héroïsme américain, qui va retrouver figure humaine en accomplissant son devoir de flic.

À partir de 40s, le thème mélancolique de Copland par Howard Shore (Le Seigneur des Anneaux)

Ainsi Mangold confronte à ce monde de corruption et ce vieux duel De Niro/Keitel l’efficacité du respect du devoir. Comme Logan récemment, ou encore Dan Evans (Christian Bale), Stallone va devoir mettre à mal ses attentes (et désirs) et alors connaître l’éveil du devoir. Une notion Mangoldienne qui trouve ses racines dans les westerns et plus largement le cinéma classique qui l’a marqué, ainsi que son maître cinéaste, le grand Alexander MacKendrick, dans lesquels et chez qui l’humanisme fait face à des formes d'ironie et de cynisme - soit de corruption -, véritable gangrène de nos sociétés modernes.

L'appel à l'éveil du devoir du shérif Heflin par Robert De Niro

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